JPA
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Nitens lux, horrenda procella, tenebris aeternis involuta (1)
L'éditorial de Gérard dans le dernier Quasar Filant m'a rappelé l'étude que j'ai fait concernant l'histoire de l'origine du nom de l'ancien hôtel-restaurant des "Vendanges de Bourgogne" à Bessancourt, village où le "Foutriquet" Adolphe Thiers vécut, trouva refuge et écrivit une partie des 10 volumes de son Histoire de la Révolution française.
Le banquet aux "vendanges de Bourgognes" rendit célèbre un jeune savant mathématicien en 1831. Il s'appelait Evariste Galois et l'année 2011 célèbre de bicentenaire de sa naissance.
Voici son histoire.
Evariste Galois
Évariste Galois est né le 25 octobre 1811 à Bourg-la-Reine. Il est mort le 31 mai 1832 à Paris. C’est l’un des plus grands mathématiciens français, mort dans un duel à l’âge de 20 ans, qui a donné son nom à une branche des mathématiques, appelée la théorie des groupes ou théorie de Galois.
Son père est directeur d’un collège - créé par le grand-père paternel d’Evariste - situé au numéro 20 de la grande rue. C’est un libéral. Il assume également la fonction de maire à Bourg-la-Reine.
Sa mère est la fille d’un magistrat, président du tribunal de Louviers, mais habitant à Bourg-la Reine et voisin des Galois. C’est elle qui s’occupera de son éducation et de sa scolarité jusqu’à l’âge de 12 ans. Elle lui enseigne le grec, le latin et la religion catholique.
Elève à Louis Legrand
En 1823, Evariste entre en classe de 4ème, comme pensionnaire au Lycée Louis Legrand. Ce n’est pas un très bon élève et il est obligé de redoubler son année scolaire 1826-1827 car il est trop faible en rhétorique. A cette époque post-révolutionnaire, les études sont essentiellement classiques et les sciences ne sont abordées qu’en cours supplémentaires.
En février 1824, Evariste s’inscrit au cours de mathématiques dans la classe de M. Venier. Peu à peu, il se fascine pour cette discipline. Il devient un élève féru des « Eléments de géométrie » de Legendre, des textes sur la résolution des équations de Lagrange et est passionné par Euler et Gauss.
Son chef d’établissement note à son sujet :
« La passion pour les mathématiques domine chez-lui. Je pense que le mieux pour cet étudiant serait que ses parents lui permettent de n'étudier que les mathématiques. De toute façon, il perd son temps à assister à ses autres cours. Il ne fait que causer du tourment à ses professeurs et de se nuire avec toutes les punitions qu'il se mérite ».
C’est un élève renfermé, distant, indépendant et indiscipliné. M. Venier fait même cette observation sur son relevé de notes :
« Intelligence, progrès marqués, mais pas assez de méthode ».
C’est à Louis Legrand que se forgèrent ses convictions libérales et son mépris pour les légitimistes incarnés par les pouvoirs politiques de Louis XVIII et Charles X. Il est vrai que pour un jeune garçon fraîchement sorti de la protection familiale, l’entrée dans la vie des adultes ne fut pas des plus faciles.
M. Berthelot, le directeur du Lycée, appliquait sans état d’âme, la politique de la main de fer dans un gant d’acier. Taxé par les internes de vouloir favoriser le retour au cléricalisme, il fit immédiatement et sans ménagement expulser les récalcitrants qui se retrouvèrent à la rue. A la Saint Charlemagne, les élèves et les enseignants qui avaient refusé de porter un toast à la santé du Roi furent également et immédiatement expulsés. Le libéralisme n’avait pas court dans l’établissement.
En 1828, simple élève de classe préparatoire, il ose se présenter au concours d’entrée à Polytechnique, qu’il rate. Il retourne donc à Louis le Grand et s'inscrit dans la classe de mathématiques spéciales de Louis Richard qui avouera plus tard avoir admiré le génie de son élève. Louis Richard encourage Galois à publier un article sur les fractions continues, qui paraît le 1er avril 1829, dans les « Annales de mathématiques ».
Toutefois, Galois délaisse de plus en plus ses travaux scolaires pour se consacrer presque exclusivement sur ses recherches personnelles. Il étudie la Géométrie de Legendre et les traités de Lagrange.
Le 2 juillet 1829 son père, dénigré et harcelé publiquement avec des lettres anonymes par le curé de Bourg-la-Reine, met fin à ses jours en se suicidant. Son enterrement donne lieu à une petite émeute entre le jésuite qui dirigeait le service et les partisans du maire informés du complot monté contre ce dernier.
Quelques semaines après la mort de son père et à la stupéfaction de son professeur, Galois échoue une seconde fois à l'examen d'admission de l'école Polytechnique.
Il est vrai que l’élève s’est encore distingué par un accès de colère en jetant à la tête de son examinateur le chiffon servant à nettoyer le tableau noir : l’examinateur n’avait pas le niveau pour comprendre la démonstration de l’élève!
Elève à l’école Normale
Galois se résigne alors à entrer à l'école Normale qui est annexée à Louis le grand.
Il passe et reçoit son diplôme le 29 décembre 1829. les annotations de ses enseignants sont contradictoires et mettent bien en valeur l’aspect « bizarre » de l’individu :
Son superviseur en mathématique écrit de lui :
«Cet élève est quelquefois obscure dans la façon d'exprimer ses idées, mais il est intelligent et présente un remarquable esprit de synthèse».
Son superviseur de littérature dit de lui le contraire:
«C'est le seul étudiant qui me répond à peine. Il ne connaît absolument rien. Je crois qu'il possède d'extraordinaires capacités mathématiques. Ça m'étonne grandement, car après examen, je crois que c'est un étudiant vraiment peu intelligent».
Déboires à l’Académie des Sciences
Galois envoie en 1829 à l’Académie des Sciences ses travaux sur la théorie des équations. Ils seront perdus.
En 1830, pour participer au Grand Prix des Mathématiques, il soumet à cette académie un nouvel article sur la condition pour qu'une équation soit résolue par des radicaux.
Son article est de nouveau perdu. Galois suppose alors que seul l’esprit partisan de l’Académie est à l’origine de la perte de ses mémoires. Ce soupçon lui fut confirmé l'année suivante.
Evariste, avec le soutient de Jacques-Charles-François Sturm qui est un jeune mathématicien émérite qui vient de trouver une solution pour calculer le nombre de racines réelles distinctes d'un polynôme, travaille alors sur les équations elliptiques.
Il publie en avril 1830 sur le sujet, trois articles dans le Bulletin Universel des Sciences.
Toutefois, il apprend en juin que l'Académie rejette de nouveau son manuscrit pour l’obtention du Grand Prix des Mathématiques, prétextant que
« le raisonnement n'en était pas assez clair, ni assez développé pour lui permettre d'en juger la rigueur ».
Le prix est décerné à Abel, mort l'année précédente, et à Jacobi.
Les deux dernières publications de Galois sont un article dans les Annales De Gergonne (décembre 1830) et une lettre sur l'enseignement des sciences dans la Gazette des écoles (2 janvier 1831).
L’exalté politique
En juillet 1830 Charles X quitte la France. Des émeutes se multiplient dans les rues de Paris. Le directeur de l’école Normale, fait fermer les portes de son école pour maintenir ses élèves pour les empêcher de prendre part aux événements
Or le jeune Evariste Galois est un républicain affirmé, adhérent de la société des Amis du Peuple.
Avec quelques amis, il critique l'opportunisme du directeur de l'école Normale, fidèle de Charles X, puis de Louis-Philippe !!
M. Guigniault, le directeur, répond par un article condamnant le comportement de ses étudiants.
Galois réplique alors dans le Gazette des écoles et attaque ouvertement M. Guigniault en lui reproche de les avoir enfermés dans l'école, lui et ses camarades.
Voici le texte de l’article d’Evariste :
«Ce 3 décembre 1830. Monsieur, La lettre que M. Guigniault a insérée hier dans le lycée, à l’occasion d’un des articles de votre journal, m’a paru fort inconvenante. J’ai pensé que vous accueilleriez avec empressement tout moyen de dévoiler cet homme. Voici des faits qui peuvent être attestés par quarante-six élèves. Le 28 juillet, au matin, plusieurs élèves de l’École normale, désirant aller au feu, M. Guigniault leur dit, à deux reprises, qu’il pourrait appeler la gendarmerie pour rétablir l’ordre dans l’école. La gendarmerie le 28 juillet ! Voilà l’homme qui, le lendemain, ombragea son chapeau d’une immense cocarde tricolore. Voilà nos libéraux doctrinaires ! Sachez aussi, Monsieur, que les élèves de l’École normale, mus par un noble patriotisme, se sont présentés tout dernièrement chez M. Guigniault, pour lui manifester l’intention où ils étaient d’adresser une pétition au ministre de l’instruction publique, pour avoir des armes, s’exercer aux manœuvres militaires, afin de pouvoir défendre le territoire en cas de besoin. Voici la réponse de M. Guigniault. Elle est tout aussi libérale que sa réponse du 28 juillet : «La demande qui m’est adressée nous couvrirait de ridicule ; c’est une imitation de ce qui s’est fait dans les collèges : cela est venu d’en bas. Je ferai observer que lorsque pareille demande fût adressée par les collèges au ministre, deux membres seulement du conseil royal votèrent pour, et ce furent précisément ceux du conseil qui ne sont pas libéraux. Et le ministre a accordé : c’est qu’il a craint l’esprit turbulent des élèves, esprit pitoyable, qui paraît menacer d’une ruine complète l’Université et même l’École Polytechnique». Au surplus, je crois que sous un certain rapport, M. Guigniault se défend avec raison du reproche de partialité pour la nouvelle École normale. Pour lui, rien n’est beau que l’ancienne École normale, tout est dans l’ancienne École normale. Dernièrement, nous lui avons demandé un uniforme ; il nous l’a refusé : à l’ancienne école, il n’y en avait pas. On faisait trois années d’étude à l’ancienne école ; on avait reconnu, lors de l’institution, l’inutilité d’une troisième année, M. Guigniault a obtenu qu’elle fût rétablie. Bientôt à l’instar de l’ancienne École normale, nous ne sortirons qu’une fois par mois et nous rentrerons à cinq heures. Il est si beau d’appartenir au régime de l’école qui a produit MM. Cousin et Guigniault !… Tout en lui annonce les idées les plus étroites et la routine la plus complète. J’espère, Monsieur, que ces détails ne vous déplairont pas, et que vous voudrez bien en tirer, dans votre estimable feuille, tout le parti possible ».
Evariste Galois est expulsé de l'école Normale le 3 janvier 1831. A court d’argent, il s’oriente vers le professorat et organise des classes de mathématiques avancées. Une quarantaine d’étudiants se présentèrent à la première rencontre, mais ce nombre chuta très rapidement.
L’académicien Poisson qui était chargé d’examiner les mémoires des jeunes mathématiciens l’incita à soumettre une autre version de son mémoire sur les équations algébriques. Ce qu’il fit en janvier 1831. Le 4 juillet, il apprend que son mémoire est encore rejeté. Siméon-denis Poisson juge que :
«Son argumentation n'est ni suffisamment claire, ni suffisamment développée pour nous permettre de juger de sa rigueur ». Il encourage toutefois Galois à écrire un compte rendu plus complet de ses recherches.
La prison
A peine eut-il quitté l’école Normale le 9 décembre 1930, qu’il s’engage dans l’artillerie de la Garde Nationale, dont nombre d’éléments étaient adhérents à la Société des Amis du Peuple. La Garde Nationale sera dissoute par ordonnance royale le 31 décembre 1930.
En cette nouvelle année 1831, 19 officiers de l'Artillerie de la Garde Nationale seront arrêtés pour conspiration contre le gouvernement. Ils seront acquittés le 9 mai 1931.
Le 9 mai 1831, 200 républicains organisent alors un dîner pour célébrer cet acquittement. Durant ce dîner, auquel participe Alexandre Dumas et François-Vincent Raspail, Galois porte un toast vengeur :
«A Louis-Philippe, s’il trahit !».
Il lève son verre d'une main et tient un couteau de l'autre. C’est la première fois officiellement qu’une menace de mort est proférée contre le roi. Le lendemain, Galois est arrêté chez sa mère et conduit à la prison de Sainte-Pélagie, qui se trouvait près du jardin des plantes. Il est acquitté le 15 juin.
Le 14 juillet, jour de la fête de la prise de la Bastille, il est arrêté de nouveau sur le Pont-Neuf. Il porte alors un uniforme de l'Artillerie de la Garde Nationale, auquel il n’a plus droit et dont le port est illégal. Evariste Galois est alors écroué de nouveau à la prison de Sainte-Pélagie et condamné à 6 mois pour récidive.
Voici comment Evariste décrivait cette sordide prison, qui ressemblait à un cloaque :
«Porte aussi massive que rébarbative, murs épais d'un mètre qui le disputent à l'horreur de sombres couloirs, suintant la crasse, le froid et le désespoir. Tout ici sent la Mort ! Dante a dû y venir, rédiger ses Enfers».
Pendant son séjour en prison, il poursuit ses recherches et fréquente Nerval et Raspail. Dépressif, il fait alors une tentative de suicide avec son poignard et c’est Raspail qui arrivera à le désarmer.
En décembre, il envisage une nouvelle tentative de publication de ses travaux. Sa préface est tellement polémique que le texte complet n'en sera publié qu'en 1946 par René Taton dans sa Revue d’Histoire des Sciences :
«Si j'avais à adresser quelques choses aux grands du monde ou aux grands de la sciences. Je jure que ce ne serait point des remerciements ».
L’amour et la mort
En pleine épidémie de choléra, Evariste Galois dont la santé est défaillante est transféré le 16 mars 1832 près de la place d’Italie, à la Maison de Santé de la rue Lourcine – rendue célèbre par une réputée chanson paillarde. Evariste y était maintenu prisonnier sur parole et jouissait d’une grande liberté. Il y tombe amoureux de Stéphanie-Félice du Motel, la fille du médecin résident. Cette dernière ne semblait toutefois que peu intéressée par les avances du prisonnier. Elle se résout à rompre le 14 mai. Evariste ignorait que Stéphanie était déjà fiancée à un jeune homme, qui ayant découvert l'infidélité de sa promise, décida de provoquer Evariste en duel pour venger son honneur.
Dans la matinée du 30 mai, Galois qui est venu seul, est grièvement blessé par balle et laissé à terre pour mort. Il sera conduit par un paysan qui passait avec sa charrette à l'hôpital Cochin, où il décédera de péritonite le 31 mai 1832 à 10 heures du matin, dans les bras de son jeune frère Alfred. Il avait 21 ans.
Le samedi 2 juin, à 11h30 du matin, deux à trois mille républicains et une nuée d’agents de police, partis de l’hôpital Cochin, accompagnèrent Evariste à sa dernière demeure.
Evariste Galois sera enterré dans la fosse commune du cimetière de Montparnasse.
La nuit précédent son duel, Galois qui sait sa mort proche, écrit une lettre-testament adressée à son ami Auguste Chevalier, dans laquelle il le charge de faire connaître aux mathématiciens de l'époque - que l’on appelait des arithméticiens - ses différentes découvertes.
Par la suite, le frère de Galois et son ami Chevalier copient les documents d’Évariste et les enverront à Gauss, Jacobi et bien d'autres. Ces documents arriveront en septembre 1843 dans les mains du mathématicien Liouville qui en informa l'Académie des Sciences. Ce n’est qu’en 1846, que J. Liouville publiera ces documents.
Note :
(1) Epitaphe latine composée pour sa mort prochaine et la veille de son duel, par Evariste Galois lui-même. Elle peut être traduite par :
« Brillant éclat, d’une fougueuse tempête, enveloppé dans les ténèbres éternelles ».
Comment mieux définir la vie et l’homme que fut Evariste Galois.
Pour les Quasariens "matheurs", l'année 2012 sera l'année anniversaire du centenairede la mort du mathématicien Henri Pointcarré. Une petite piqure de rappel sur la théorie du Chaos est disponible sur le site de Quasar 95.
Bonne fin d'année à toutes et tous.
_________________ Il est un âge où l'on enseigne ce que l'on sait. Vient ensuite un autre où l'on enseigne ce que l'on ne sait pas : cela s'appelle chercher (Roland Barthes).
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